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1909, la statue de Jeanne d'Arc inaugurée

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De nombreuses cartes postales anciennes ont immortalisé le moment. Des articles dans la presse locale aussi : le 3 octobre 1909, Tilly-sur-Seulles inaugure une statue de Jeanne d‘Arc en bronze, sur la place du Marché entre l’hôtel Morel et la halle. Cette statue est encore visible aussi : blessée durant les combats de 1944, elle accueille les visiteurs du musée de la bataille, rue du 18-Juin-1944. Pourquoi et comment la Pucelle est apparue à Tilly ? Explications.

 

En 1909, la France est atteinte par une fièvre johannique. Edifices religieux (30.000 églises vont posséder une statue), villes et villages veulent leur représentation de Jeanne d’Arc ou organisent des fêtes dédiées à la vierge de Domrémy comme Orléans, Paris, Rouen, Compiègne, etc. En effet, la jeune guerrière a été béatifiée par le pape Pie X le 18 avril de cette même année. Héroïne religieuse, Jeanne l’est aussi pour le patriotisme républicain, symbole du combat contre l’envahisseur étranger. Nous ne sommes alors que cinq années avant la Première Guerre mondiale et la France, avide de revanche après le désastre de 1870, porte haut sa haine de l’Allemagne qui a annexé l’Alsace et la Lorraine. Et c’est justement guidé par une volonté de rabibocher l’Église et la République que, depuis Rome, le pape concrétise la béatification de Jeanne d’Arc. Cette dernière devient un symbole religieux autant que patriotique.

 

Un souhait du maire Henri de Saint-Taurin

A Tilly-sur-Seulles l’année précédente, Henri de Saint-Taurin, régisseur de propriétés, est devenu maire après des élections municipales qui auront vu toute la liste libérale composer l’assemblée communale. Dès le mois de mai 1909, le conseil, sous l’impulsion du maire, crée un comité chargé de collecter des souscriptions pour financer une statue de Jeanne d’Arc et son édification. En bronze, elle représente Jeanne en armure, casque au sol, étendard et épée à la main. Le piédestal est imaginé par l’architecte Henry Peni et réalisé par l’entrepreneur de maçonnerie Gilles, rue Bicoquet à Caen. Selon la presse de l’époque, Tilly serait la première commune du Calvados à élever un tel monument en l’honneur de Jeanne sur une place publique.

La date de l’inauguration officielle est arrêtée au dimanche 3 octobre 1909. Le maire et le comité en ont décidé le programme. Il sera à la fois religieux et patriotique (lire par ailleurs).

De nombreuses personnes assistent à l’événement. Des centaines ? Plusieurs milliers ? Dans les rues pavoisées et devant les maisons décorées, le cortège se rend d’abord à l’église, elle aussi ornée de drapeaux et de cartouches aux armes de Jeanne-d’Arc et où une cérémonie est organisée à 9h30. La messe est dite par le curé doyen de Tilly l’abbé Guéroult (1839-1914). Le midi, un déjeuner, servi par l’hôtel Saint-François d’Henri Morel, est offert par le comité aux personnalités politiques locales présentes : le député républicain nationaliste Fernand Engerand (1867-1938), le conseiller général de Longuemare, le conseiller d’arrondissement Sauvage…

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"Vive la France"

La foule se masse ensuite devant et autour de la statue recouverte d’un drap, au fond d’une place entourée de drapeaux et de portiques. L’abbé Gueroult bénit la statue alors que la foule entonne le cantate de Jeanne d’Arc. Le discours du député Engerand met en avant le patriotisme normand et des « Vive la France » lui répondent. Cette journée est marquée par une météo très pluvieuse. C’est pourtant au cours d’une brève éclaircie que la statue est dévoilée.

Cette statue trônera sur cette place jusqu’en 1944. Le grand hôtel voisin a pris le nom de « Jeanne-d’Arc ». En juin 44, des éclats la mutileront gravement laissant, entre autres, une plaie béante dans son torse en forme de coeur. Une autre statue, en pierre, la remplace en 1964 après une décision municipale prise en 1959. Elle est signée Edgar Delvaux (1908-1970). Celle en bronze, elle aussi victime des combats de 44, a rejoint son juste emplacement : les abords de la chapelle Notre-Dame-du-Val devenue musée de la bataille.

Officialisée par un décret pontifical, une béatification reconnaît la foi chrétienne exemplaire d’une personne, déclarée « bienheureuse ». La canonisation élève un homme ou une femme au rang de saint ou sainte.

Après avoir été béatifiée en 1909, Jeanne d’Arc est devenue l’objet d’une fête nationale en 1912 à l’initiative de Raymond Poincaré (1860-1934), alors président du conseil, puis a été canonisée par le pape Benoît XV le 16 mai 1920.

 

François Basley

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En 1910, une procession était organisée pour la bénédiction de lastatue de Jeanne d'Arc.

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Les opinions s'opposent dans les journaux locaux

politiquement engagés au début du XXe siècle

La presse de droite, conservatrice et catholique, a fait l’éloge de cette inauguration de la statue de Jeanne d’Arc à Tilly. Elle a salué cette initiative de la municipalité en annonçant le programme des festivités et en narrant la journée du 3 octobre 1909 avec force détails. A l’inverse, la presse républicaine s’en moque. Nous ne sommes alors que quelques années après la promulgation de lois fondatrices de la laïcité : en 1905, séparation de l’église et de l’État ; en 1907, les édifices religieux catholiques deviennent propriétés publiques

Le Bonhomme normand souligne, dans un court article, le mauvais temps de ce 3 octobre tout en raillant la tenue de Jeanne : «  On a profité d’une éclaircie pour enlever le voile couvrant la vaillante Lorraine, revêtue d’une cuirasse , ce qui devra la gêner pour s’asseoir ». Au passage, deux coups de canifs sont adressés à la voyante Marie Martel, « passée inaperçue » et au député Engerand « Charles VII de la fête ».

Le Journal de Bayeux relaye un autre article du Bonhomme normand, encore plus explicite : « Voyant que, malgré leur zèle ardent, le culte de la Vierge de Marie Martel ne pouvait s’implanter dans leur miraculeuse commune, les gens de Tilly se sont jetés dans les bras virginaux de la Pucelle d’Orléans. Ils veulent en faire leur patronne particulière et vont lui installer une statue sur la place du Marché où Jeanne d’Arc sera là comme chez elle. Mais avec l’installation de ce culte nouveau, bien des espoirs anciens disparaissent. Les voyantes attitrées vont avoir à changer de visions. Elles ont même commencé déjà, et Marie Martel est maintenant en rapports suivis avec la vierge de Lorraine. Du reste, n’est-elle pas avec elle une certaine ressemblance ? Comme Jeanne elle a entendu des voix et comme elle aussi elle a eu une mission à remplir. Jeanne d’Arc a pourtant un avantage sur Marie Martel : elle a été brûlée comme vierge et la demi-vierge de Tilly-les-Miracles n’a jamais été brûlée, du moins du même feu. »

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Le programme

des festivités

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SAMEDI 2 OCTOBRE

19 heures. Salves d’artillerie, sonnerie des cloches.

DIMANCHE 3 OCTOBRE

6 heures. Salves d’artillerie, sonnerie des cloches.

7 h30. Distribution de pain et de viande aux pauvres, à la mairie (alors rue de la Justice, aujourd'hui rue du Stade).

8 h 30. Réception de la Société philharmonique de Littry dirige par M. Lecoustey avec 50 musiciens, rue de Bayeux.

9 h 30. Formation du cortège sur la place.

9 h 45. Départ du cortège pour l’église.

10 heures. Messe solennelle en musique.

Midi. Déjeuner offert aux invités par le conseil municipal et le comité de la fête.

14 heures. Arrivée de la société de gymnastique les Cadets de Neustrie.

14 h 30. Vêpres en musique, panégyrique de Jeanne d’Arc par l’abbé Laisné, curé de Bretteville-l’Orgueilleuse, chanoine d’Orléans.

15 h 30. Inauguration de la statue de Jeanne d’Arc, place du Marché.

16 h 30. Face à la mairie (rue de la Justice) festival de gymnastique.

17 h 30. Sur la place, concert de la Société philharmonique de Littry.

Le soir. Fête de nuit avec illuminations des monuments tillois (dont le château), embrasement de la tour de l’église.

21 heures. Feu d’artifice.

21 h 15. Retraite aux flambeaux accompagnée de la Société philharmonique de Littry et de la subdivision des sapeurs-pompiers.

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Aujourd'hui, la statue de Jeanne d'Arc, mutilée en 1944, s'élève devant le musée de la bataille

Sources

- Archives départementales
du Calvados
- L'Echo bayeusain
- Le Bonhomme normand
- Le Réveil normand
- La Croix du Bessin

 

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